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Poésie Musicale

Force d'imagination et énergie.

" Tous les courants musicaux ont des origines et des  histoires différentes, mais tendent vers un même but :  libérer l'esprit,  alléger la souffrance, aider à vivre, à organiser ses idées...    "

D’où tires-tu ta force d’imagination et l’énergie qui sous-tend tes compositions ?

En tant que compositeur-interprète, sociétaire de la Sacem, Adami, Spedidam, chevalier de l'Ordre du Mérite, des Lettres et de la Communication (agraphe musique et danse) du Burkina Faso, à l'écoute du monde et de l'actualité, je m’inspire de la mémoire de ma famille, du patrimoine culturel universel, des éléments de la planète et du cosmos depuis la nuit des temps.

Et quelle méthode de travail ?

J'observe beaucoup la société et repère les problèmes auxquels les hommes sont confrontés et dont on ne parle pas. Par exemple,  j'ai souvent envie de partir à la conquête des espaces publics qui sont récupérés au profit des commerces... Car cela se fait au détriment d'espaces de liberté pour les enfants et pour la culture.

Et pour répondre précisément à la question, j’amène mon instrument fétiche, qui est le djembé, dans la forêt pour apprendre à écouter le plus profond de l’existence qui est la vibration. La note majeure, pour moi c’est le grave, et le djembé est bien placé pour me le donner, puis vient le medium et l’aigu, au point de mesurer l’intensité de la hauteur des différentes notes sur la peau. Après je me sers du balafon, soit pentatonique soit diatonique, et aussi de la sanza, pour élaborer la première composition. Ce qui me touche, c’est de donner la parole à ceux qui  ne l'ont pas , par exemple le monde agricole, les paysans, qui souvent ne sont pas assez écoutés. Ma musique sert à faire entendre leur difficulté quotidienne sur le terrain du travail : la difficulté des éleveurs, de ceux qui ont des fermes,  des cordonniers, des bouchers, tous ces métiers artisanaux qui sont des vrais métiers, que sans eux notre quotidien serait difficile. Je dis souvent, un sac vide s’il n’a pas de contenu comment tenir sa journée ? Un fonctionnaire d’État, s’il n’a rien dans son assiette, comment peut-il aller travailler dans son bureau ? Donc je salue le monde rural, le monde des ouvriers qui se lèvent tôt et se couchent tard et sont l’énergie de la société.

Waw, tes sources d’inspirations sont engagées !

Bien sûr ! Il ne s’agit que de cela ! Et mes compositions évoquent  aussi le progrès:  la recherche, l’intelligence numérique nous ont libérés de certaines traditions et coutumes, de certaines religions, et ont même facilité l'accès à l'école pour les enfants pour leur permettre de s'épanouir, de développer leur propre  personnalité et d' écrire leur propre histoire... Je salue aussi le corps médical qui, malgré le manque de moyens, s'adapte pour assurer la sécurité sanitaire des humains car la santé est le besoin essentiel. 

Ma musique parle de tous ces sujets. La musique est  nécessaire en Afrique et ailleurs. Selon les territoires, les villages ou les villes, les besoins ne sont pas les mêmes, donc les répertoires varient et les instruments utilisés sont différents.  Les artistes sont obligés de s’adapter pour gagner leur vie, donc en un seul mot, aujourd’hui dans mes compositions je suis à la conquête d'un auditoire élargi : la composItion et les arrangements sont là pour faire découvrir au public européen et africain l'originalité d'un répertoire harmonieux,  j'adapte mes accords à la sensibilité d'un public  de tous âges et de toute origine.

J’ai plusieurs albums sur le marché international, chacun a sa sensibilité propre et sa philosophie: mon but c’est de susciter chez chacun une réflexion autour de mes répertoires.

Il y a des albums qui témoignent du croisement de culture entre l’Europe et Afrique, d’autres entre les pays africains, voire entre des différentes langues parlées en Afrique. car les langues africaines, très nombreuses et  riches, sont rarement valorisées par les acteurs culturels et producteurs. Ce serait  dommage de ne pas les chanter.  

 

Et sur la technique de composition proprement dite ?

La composition : ce n’est pas un monde facile, il faut te remettre en question pour pouvoir composer. Je m’appuie sur le balafon avec l’accord diatonique qui me permet d’écrire mes grilles et sur ma sensibilité pour l’enrichir. Je suis séduit par les polyphonies, c’est l’harmonie qui m’attire le plus, car c’est là où l’on est porté de la terre vers le ciel et le ciel vers le mouvement. Je compose particulièrement des rythmes binaires et ternaires syncopés, et ternaire et binaire mélangés, 5 temps, 6 temps, 7 temps, 9/8 ou 4/4.  Pour moi la richesse des mouvements, c’est le ternaire, j’aime bien travailler sur le ternaire qui est plus complexe, plus difficile et plus délicat que le binaire, et après une fois que j’ai composé sur trois claviers de balafons, je peux m'ouvrir à inviter la kora, la flûte peule, à enrichir avec d’autres instruments africains, ou suivant les albums, avec d’autres couleurs européennes. J’adore la composition car on y vit une épreuve profondément intense, et on a le devoir de faire évoluer la reflexion  et tenter différentes choses, toujours, car sinon ce n’est pas de la composition. Il faut pouvoir étonner l'auditeur  :  quand les mélomanes te disent c’est joli, c’est doux, c’est le langage courant que tout compositeur peut entendre, mais quand un autre te dit, vraiment c’est très complexe ton travail : cela fait plaisir.

 

 

Tu as parlé de ta philosophe d’inspiration pour composer, peux-tu parler plus particulièrement de ta philosophie de vie ?

Tu as bien posé la question, car un homme sans culture est un homme sans route, il faut savoir d’où tu viens et pourquoi tu avances. Je viens d’une culture animiste qui est une culture ancestrale en Afrique. L' animisme ce n’est pas une philosophie, c’est toute une culture pour communiquer avec le cosmos. Par exemple,  la civilisation pygmée au Cameroun et en Centre Afrique m'impressionne beaucoup,  cela est tellement intéressant il y a un travail collectif de l’ensemble et du groupe, 

 Il y a plusieurs sorte de philosophie musicale, je me suis inscrit dans une philosophie abstraite et concrète : quand une culture peut aussi toucher la sensibilité  des autres, là cela me parle; les autres, je veux dire tout le monde toutes les cultures, une sorte de miroir pour la vie et pour la mort. 

Pour entrer en profondeur, chez les animistes il y a les musiques pour "l’interrogation des morts" qui n'est pas du tout du folklore; c'est ce que j’appelle la science appliquée. Quand je dis cela, j’entends par là que les dignitaires ont des connaissances divines pour lire les astres. Après "l'interrogation" avec la médiation de la musique, les célébrants peuvent déclarer que c’est l’esprit de la nature qui a interpelé  le défunt qui vient de partir. C'est la voix de la sagesse qui apporte le réconfort à la famille et au groupe. Quelle que soit l’évolution de notre vie, on repart naturellement nu comme on est né nu...  C'est la seule chose, universelle, sur laquelle on ne peut pas mentir.  La réalité de la mort,  que l'on soit riche ou pauvre, c'est d'accéder  au repos, dans le sein de notre "grande mère nature",

La culture porte des valeurs  que les hommes oublient souvent, par exemple la mémoire et le patrimoine. Dans mon initiation dans la forêt sacrée, la mémoire et le patrimoine sont très importants.

Les nombreux styles musicaux correspondent aux goûts et besoins de différentes époques et différentes civilisations. En occident, ce sera la musique classique, sacrée, savante et aussi profane, en Afrique une musique de tradition orale, mais au-delà des singularités on se retrouve dans le plaisir de partager les émotions que suscitent la musique et le chant.

On ignore souvent que des  musiques savantes, existaient aussi en Afrique, destinées (comme en Europe) aux cours royales.  Car il y a eu des royaumes, en Afrique, où  dans les  cours la grande musique était jouée  pour apaiser et distraire le roi et la reine, et les courtisans qui les entouraient.  Des Ensembles musicaux ont pu conserver ce répertoire de  cour  jusqu'à nos jours et le jouent comme on interprète  Bach dans les conservatoires aujourd'hui.  Chez nous, certains pays perpétuent la mémoire de cette  musique dans les grandes cérémonies afin de témoigner d'une identité culturelle, de l’histoire et des épopées des grandes familles.  
Maintenant, tout le monde connait les empires de l’Afrique il suffit de lire des livres d'auteurs comme Cheik Anta Diop et Aimé Césaire, et des thèses écrites sur l’Égypte antique, sur le Nigeria, le Burkina Faso, le Mali, la Côte d'Ivoire, le Sénégal, la Guinée Conakry, le Cameroun, le Congo, etc...  

Il faut s’inspirer de tout cela car c’est un patrimoine : il faut lutter pour le conserver, et c’est grâce à la composition que quelque part on sauve toute cette diversité musicale. J’ai un grand plaisir de voir qu’ il y a encore cette fibre européenne pour faire vivre cette musique sacrée et profane pour un public qui en a besoin. La force de la vie c’est quoi ? c’est notre culture, notre histoire, notre identité culturelle, ce qui donne une fierté, un retentissement international. 

Que penses-tu de la musique contemporaine en occident, est-ce une rupture avec le passé ?

La musique contemporaine a sa vérité et la musique baroque et classique ont aussi la leur. Tous les courants musicaux ont des origines et des  histoires différentes, mais tendent vers un même but :  libérer l'esprit,  alléger la souffrance, aider à vivre, à organiser ses idées...   

Toutes les traditions évoluent avec leur temps. Il faut être à l'écoute de la jeunesse, comprendre qu'elle puisse avoir une  autre sensibilité, une autre façon de voir la culture.

La jeunesse se libère des codes, bouscule nos certitudes, révolutionne la manière d’écouter les harmonies, ce qui permet d’autres voyages dont on n’a pas l’habitude... Personnellement, je salue ce voyage musical car c’est le futur.   Il faut faire confiance à l’intelligence humaine pour que ce futur soit riche d'une production éclectique et respectueuse de tous les courants. 

Dans le monde de maintenant, il est  dommage qu'il n'y ait pas assez de labels qui se lèvent pour défendre les différentes sensibilités musicales d'aujourd'hui. Il y a beaucoup de musiciens interprètes qui sont dans la diffusion et la composition, mais pas assez de manageurs, de bookings, administrateurs de gestion culturelle, pour accompagner les artistes, surtout les auteurs. C'est une vraie question car sans développement de la diffusion, on prend du retard  en économie musicale et on freine  la diversité musicale. Beaucoup de  courants musicaux non- formatés ne sont pas soutenus et restent à découvrir car on a tendance à se cantonner dans nos habitudes.

Il serait fondamental que le public accepte de participer à une production locale, voire nationale et internationale. Comment faire vivre l’art si on ne met pas en place la diffusion de quartier, de ville, de pays?  

Donc il faudrait d'autres lieux de célébration qui dépassent nos habitudes, des lieux dédiés à des répertoires d’aujourd’hui, sans que cela nuise à la diffusion de formes d'expression plus anciennes.  Si on va de l’avant , si on  ouvre la voie de la liberté et de la diversité, on peut ensuite faire le choix de se retourner vers le patrimoine culturel plus ou moins ancien, d’inscrire ses créations dans un lignage... Et ça, c'est plutôt positif!

Mon cri d’alarme s'adresse aux opérateurs économiques privés, on ne doit pas attendre que l’artiste sollicite les mécènes,  les mécènes eux-mêmes doivent prendre l’initiative de penser au groupe, à la société, à l’apaisement des tensions. Comme on investit dans l’armement, on pourrait investir dans la culture, car l’art c’est le médicament de la société, tous les arts font du bien et font un écho aux émotions humaines.

 

Donc création ?

Qui dit création, dit artistes qui ne vivent pas de leur art,  ce sont les oubliés de la culture. Quand ils ont une commande, c’est tous les six mois, c’est très peu pour faire vivre un homme : la vie de famille, sentimentale, sociale, les voyages, tout cela a un coût... Ces artistes sont de vrais artistes qui, souvent, font le choix de consacrer  le temps total de leur existence à l’Art.

Toi qui, socialement, devrait être le mécène et qui au mieux ne soutient que ceux qui ont pignon sur rue, tu vas en trouver plein, jusque dans de tout petits villages,  qui peinent à se soigner, a s’alimenter, et qui parfois vont terminer pire que la fin d’un van Gogh, cela fait de la peine.  Beaucoup font le choix d' une réflexion musicale profonde, ces  compositeurs sont de vrais chercheurs en même temps que de vrais artistes.

Il faut que famille et amis, apportent leur soutien inconditionnel pour les faire connaitre, afin qu'ils ne soient pas amenés  à  laisser se déprécier leurs oeuvres et à donner la musique, la peinture, les films gratuitement.  C’est ce qui arrive : l’Art continue, même si l’artiste meurt de faim et de misère. On les oublie alors qu’ils contribuent à la transmission des valeurs, à l’éducation, au maintien du lien social. 

Toi l’artiste, t’es dans la pédagogie , pas la commercialisation ! Souvent t’es mal payé: les associations, les mairies,  demandent qu'on les accompagne sur leurs projets, mais sans budget, et quand le travail commence à porter ses fruits , on oublie l’artiste. Ils sont dépossédés de leurs propres créations, car ils donnent la priorité à leur art, pas à l'entre-gens.  

La société ne prend pas soin des artistes, c'est dommage! La famille doit aider,  et au-delà, le groupe, la République telle que l’entendaient Platon et Socrate, c’est-à-dire toute la Société et pas seulement ses représentants. 

Sur ce point, l’Afrique est en avance, même si cela existe aussi en Europe, quand il y a un souci le groupe se pose la question : comment faire pour qu’il ne crève pas l’artiste?

La  musique est le reflet  de la société et possède un pouvoir universel sur les humains et la transmission des traditions et des valeurs familiales, amicales et sociales

C'est elle, comme tous les arts, qui donne l'espoir et la force. La musique  est toujours là, en tout temps et en tout lieu, pour accompagner les moments de joie comme  les moments de tristesse...

Elle a le pouvoir de résonner en nous, de susciter des pensées, des émotions et des états d'âme, de mettre les corps en mouvement dans la danse ou la transe.

La musique ouvre sur tous les univers de la Culture, elle est comme le vent, elle ignore les frontières et porte témoignage , elle dit quelque chose de ceux et celles qui la font.

Océan par son mouvement perpétuel, elle parle aux vivants et aux morts, est le symbole de la pensée, de l'harmonie de la musique et du groupe.

Importance de la musique dans les  sociétés anciennes.

Dans la société traditionnelle africaine,  on ne pouvait pas se passer des arts et particulièrement de la musique. 

La présence des musiciens et chanteurs était indispensable lors des cérémonies et célébrations, à tel point que celles-ci pouvaient être reportées ou annulées en cas d'empêchement des artistes. Les musiciens étaient considérés et totalement  pris en charge.

De même, dès le début de l'humanité, la musique était là pour accompagner le dur labeur des artisans,  encourager les paysans lors des moissons ou lorsqu'ils devaient construire leurs maisons ou les reconstruire après la saison des pluies. S'y ajoutaient des récits afin de donner courage et  fierté à l'ouvrage. C'était sans doute la même chose dans le monde entier.

Elle était là aussi pour accompagner  les funérailles , et la chasse avec les cornes musicales dans de nombreux pays...

On peut affirmer que la musique a été un puissant support de la transmission des valeurs traditionnelles ancestrales en perpétuant  les récits des mythes et des épopées jouées et chantées.

La civilisation égyptienne et les grecs de l'Antiquité l'ont aussi toujours utilisée pour passer des messages dans les cérémonies religieuses et culturelles, et pour l'enseignement des valeurs civiques et familiales 

Dans la société occidentale, une  Europe de la Culture existait, notamment au 18ème siècle où les cours royales européennes s'arrachaient la présence des artistes lettrés, peintres, musiciens, et soutenaient financièrement leur travaux.  Je voudrais attirer l'attention sur la notoriété qu'avait acquise, à l'époque, le Chevalier de Saint-Georges, compositeur de génie qui a marqué son temps et l'histoire de la musique.

C'était aussi le cas dans certains pays d'Asie où s'est développée la musique orientale.

La musique africaine, était associée aux évènements, voire au quotidien, honorée dans les cours royales mais aussi partagée par le plus grand nombre alors que la musique occidentale était destinée à une élite. La transmission de l'une a été orale tandis que celle l'autre a bénéficié de la transcription des œuvres. 

 

La musique au cœur de la société moderne.

En Occident, la relation à la musique a beaucoup évolué avec le temps: jusqu'au début du 20ème siècle, il n'y avait que deux façons d'écouter la musique, soit en la jouant soi-même, soit en se rendant au concert ou dans un lieu de culte.

De nos jours, la musique envahit l'espace public mais, par son omniprésence, imposée partout où l'on aille,  la musique est banalisée, voire largement dévalorisée... Et cela au détriment de la musique de qualité.  Une écoute attentive , c'est devenu vraiment rare, pourtant cela peut être un véritable médicament... 

Les oreilles et l'esprit sont captés par des musiques conçues pour meubler, distraire... Ainsi, l'audience de la variété et de la musique populaire surpasse celle de musiques qui exigent une certaine concentration comme la musique contemporaine, le jazz...

A partir du début du 20ème siècle, le développement des techniques d'enregistrement et  de diffusion sonores a contribué à sortir la musique des lieux sacrés ou traditionnels, et a permis au plus grand nombre de découvrir les oeuvres symphoniques, les opéras...

La commercialisation de la musique au travers  des supports vinyles, cassettes audios, cd a mis la musique classique et la variété internationale ( jazz, blues, reggae, rock, country, celtique, etc...) à la portée de ceux qui n'avaient pas accès, par méconnaissance ou pour des raisons économiques, aux salles de concerts et a favorisé la circulation de tous les genres de musique dans le monde entier.

La révolution numérique n'a fait qu'amplifier le phénomène en ouvrant des perspectives infinies, au risque de se perdre dans les méandres de l'éclectisme.

La musique reste néanmoins un puissant marqueur identitaire, reflet de la société dont elle est issue, de notre manière de penser et de nous comporter, sans toutefois empêcher les cultures de se croiser.

Il faut aussi souligner l'importance de la musique dans le cinéma. Les rapports entre ces deux formes d'expression furent dans un premier temps marqués d'une certaine rivalité, l'opéra par exemple se sentant menacé, à tort,  par l'arrivée du cinéma. 

Actuellement, on constate que la musique a mis en lumière de grands compositeurs  classiques ou contemporains ainsi que leurs oeuvres.

Par ailleurs, les musiques de film tiennent une place prépondérante  dans le cinéma. Le fait qu'elles soient primées dans les grands festivals de cinéma au même titre que les comédiens, la mise en scène  ou le scénario, leur donne de la crédibilité. Leur enregistrement permet leur diffusion comme pour n'importe quelle création.

De grands réalisateurs recherchent des compositeurs capables d'apporter une plus-value à leurs films. Ces derniers peuvent alors jouir de  commandes importantes (par exemple Luc Besson pour "Le grand bleu")

Dans un film, la musique abat les frontières de la langue en constituant, par sa force évocatrice des émotions universelles, un puissant langage commun: pas besoin de traduction ni de sous-titres. C'est une autre manière de décrire l'âme humaine.

Il existe également un rapport entre la musique et la politique. Selon les circonstances et les époques, cela peut se traduire par un genre de musique (par exemple comme symbole de liberté et d'émancipation) ou par des oeuvres politisées ( chants patriotiques, oeuvres de Wagner prisées par Hitler dans les années 1930) et ce sont parfois les musiciens eux-mêmes qui sont politisés .  

Par le passé, tous les royaumes du monde se sont servis de  la musique pour apaiser la cour ou  pour faire passer leurs idées. Et de tout temps, dans la diplomatie culturelle, la musique est en première ligne. 

Les régimes totalitaires ont souvent  censuré des musiques et chansons, ainsi que toute forme d'art,  qu'ils jugeaient subversives parce qu'elles éclairaient le peuple et gênaient  l'instauration de leur politique. La musique leur fait peur car elle est plus forte qu'eux ...

Nombre d' artistes ont connu l'emprisonnement et certains ont payé de leur vie leur engagement pour une cause qu'ils croyaient juste, comme le poète et musicien Victor Jara lors du coup d'Etat du 11 septembre 1973 au Chili.   

Est-ce un hasard si les gouvernements réactionnaires commencent souvent par fermer les lieux de diffusion musicale et à supprimer le soutien aux artistes?

Pourtant, il est  important  pour la démocratie et la liberté  individuelle  que la musique soit subversive et  que des espaces culturels de réflexion et de création soient soutenus.

Quelles que  soient  les croyances auxquelles elles se réfèrent, les religions se sont toutes approprié l'usage de la musique comme vecteur de messages et force fédératrice. On la retrouve ainsi dans les rituels sous diverses formes psalmodies, cantiques, gospels, chant grégorien...

En effet le pouvoir de la musique sur le corps et l'esprit  est de nature à préparer les fidèles à entendre la parole porteuse de foi et de tradition.

En revanche, on constate que la musique a souvent eu un rôle fédérateur, au-delà des croyances différentes, bien que certaines religions détestent la musique et vont jusqu'à la qualifier de satanique...  

Par ailleurs, de nombreuses recherches scientifiques, notamment canadiennes, suisses, japonaises, européennes ou africaines, font un lien entre santé et musique.

Ainsi, un apprentissage précoce et la pratique sérieuse d'un instrument pour un enfant amélioreraient  d' autres apprentissages, tels que  la mémoire, la capacité de concentration. Ces bénéfices acquis dans l'enfance retarderaient ensuite le vieillissement cérébral. 

En France, des études du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) vont dans le même sens. Je citerai ici un extrait du journal de cette institution : 

"Grâce aux travaux des neurosciences , on sait aujourd'hui que l'exposition à la musique a des effets positifs sur la mémoire, notamment chez les personnes atteintes d'Alzheimer.

Non seulement, elle leur redonne le goût de communiquer, de sourire et de chanter, mais aussi, elle parvient à réveiller la mémoire et les évènements qui y sont associés. De plus, en dépit de leur pathologie, ces personnes réussissent à apprendre des chansons nouvelles.

La pratique musicale stimule les circuits neuronaux de la mémoire et suggère qu'elle permettrait de contrer efficacement les effets du vieillissement cérébral."

D'autres études, indiquent même que la musique serait un stimulant pour les plantes, augmenterait leur résistance au froid et les aiderait à lutter contre certaines maladies. Autant de bénéfices porteurs d'espoir pour les générations futures...

En outre, les bienfaits de l'usage de la musique en matière de soin sont maintenant reconnus, que ce soit dans les hôpitaux auprès des malades en soins palliatifs , dans les hôpitaux psychiatriques ou dans les EHPAD (Etablissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes).

Même dans les cas désespérés, la musique, en libérant les tensions , peut soulager et apporter un réconfort. 

Dans les pays développés, la musique est très présente dans le développement et l'éducation des enfants. Les parents, éducateurs et psychologues y accordent une grande importance.  

Il est en effet reconnu que l'écoute de la musique, y compris pendant la grossesse,  favorise l'éveil de l'enfant et l'apaise. Nos mères et grands-mères devaient en avoir l'intuition, elles qui accompagnaient les gestes du massage des bébés de douceur et de comptines...

Les chercheurs militent pour que la musique soit enseignée dès le plus jeune âge et inscrite dans les  programmes  scolaires au même titre que les autres matières.

C'est ainsi que, chaque fin d'année scolaire,  les  professeurs de musique organisent un spectacle où le travail musical des enfants est valorisé et présenté aux parents. 

Pour l'avoir vécu personnellement à l'école de mon fils, je peux témoigner de l'impact positif de telles initiatives. Souvent, une thématique est choisie et sert de fil conducteur pour l'année tout en sensibilisant les enfants à une cause universelle, par exemple  la souffrance de la Planète Terre et le comportement de l'homme. 

En tant que auteur-compositeur, j'ai moi-même été amené à préparer des galas de fin d'année avec des enseignants d'écoles primaires, et j'ai souvent  été très ému de l'enthousiasme et de la très bonne prise de conscience des enfants face aux problèmes de société. Et une collaboration avec la cinémathèque de Tours m'a conduit à intervenir dans plusieurs collèges, lycées, universités de la Région Centre-Val de Loire.

 'ai également collaboré, l'été avec un directeur de Jeunesse et Sport de Blois, à des actions dans les Centres de loisirs.

Je salue ces actions de sensibilisation des enfants et des jeunes à l'apprentissage des instruments  qui peuvent, pour certains d'entre eux,  déboucher  sur un enseignement approfondi dans les Ecoles de musique ou les Conservatoires. Car la musique est un compagnon de route de toute la vie.

Hélas, certains pays n'ont pas la possibilité d'organiser un maillage culturel qui constituerait pourtant un atout pour l'éveil musical des enfants, puis une offre de continuité du processus artistique par la fréquentation de lieux de diffusion institutionnels, tels que les Maisons de la Culture.

Que dire de la représentation que l'on se fait communément des artistes et de la valorisation de leur travail?

On entend souvent dire qu' être artiste n'est pas un métier... D'ailleurs, dans certaines sociétés, une femme qui présente son fiancé ou son compagnon à sa famille et à son entourage, si celui-ci est artiste, on la désapprouve, considérant qu'elle fait un mauvais choix. Car l'artiste  est sous-estimé dans sa capacité à faire vivre dignement une famille. 

Pourtant, créer, composer, c'est vraiment beaucoup de travail, de sérieux et ce n'est pas à la portée de tout le monde...  Il faut avoir une force de l'intérieur, plusieurs niveaux de "voyage": intellectuel, spirituel, artistique, une part de réflexion profonde...

Susciter la joie, l'amour, le romantisme, mais aussi la tristesse, la mélancolie, la colère, transposer des textes poétiques supposent une grande sensibilité et une  recherche des sons et de l'harmonie qui vont procurer des émotions.

Etre auteur-compositeur, c'est réécrire l'histoire, c'est  prendre le risque de déranger en innovant et en explorant des champs artistiques inhabituels.

Etre artiste, c'est aussi  faire connaître sa culture et  contribuer au développement économique de son pays. 

Si l'on prend l'exemple de l'Afrique de l'Ouest, depuis les années 80, le djembé est devenu le symbole de la musique africaine déclenchant un engouement favorable au tourisme, aux échanges culturels et au rapprochement des peuples.

Cette dynamique liée au djembé, outre l'intérêt de la découverte de la puissance musicale de l'instrument  au-delà des frontières de l'Afrique, a apporté une véritable révolution économique en  passant du contexte du spectacle vivant  à l'industrie du disque mondial. Mais la crise politique en Afrique de l'Ouest a mis un terme à cette période d'échanges artistiques et culturels féconds.

On peut dire que  les percussionnistes africains ont fait connaître au monde la culture et l'Art de l'Afrique. De grands maîtres de l'Afrique de l'Ouest en sont les représentants et jouissent d'une reconnaissance internationale..

Cependant, d'autres artistes ont peu bénéficié de cette dynamique dans les pays où,  faute d'infrastructures et de dispositifs suffisants pour les soutenir,  cela ne leur a pas permis de vivre de leur art.

C'est pourquoi, nombre d'artistes africains ont dû rechercher, ailleurs,  la valorisation et la reconnaissance de leur travail et de leur talent. Il faudrait  que les africains soient fiers de notre culture,  croient en elle, cessent d'être aliénés intellectuellement ou opportunistes, s'investissent dans la production, et que les acteurs économiques accompagnent les professionnels de l'Art dans toutes ses dimensions. "Tant que les lions n'auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasseurs glorifieront toujours le chasseur."

Même en Europe, des dispositifs de soutien et d'accompagnement des compositeurs dans une finalité de recherche font défaut. L'expérience passée du  GMEB (Groupe de musique expérimentale de Bourges) est à citer en exemple d'investissement de  l'Etat et des Collectivités territoriales pour le soutien aux compositeurs en termes de recherche et d'organisation de rencontres internationales.

Personnellement, j'ai pu vivre de mon art grâce à ceux qui y étaient sensibles  et qui comprenaient l'importance de ma musique, en Afrique d'abord, puis en Europe, toujours  grâce au public.

Toutefois, certains pays, comme le Nigéria, l'Ouganda, le Burundi, le Kénya, l'Afrique du Sud, la Côte d'Ivoire, le Ghana, etc..., habités par une forte culture populaire et identitaire, ont perçu les opportunités d'évolution de la musique en ne confondant pas Art et folklore  et en mariant tradition et modernité. 

Par leur travail précurseur et de qualité, ils ont valorisé une dimension de la musique  qui ne meurt pas parce qu'elle a de la consistance et qu'elle est porteuse d'humanité et d'espoir. Très peu de gens comprennent la dimension artistique énorme  de ces génies qui ont su prendre des risques dans leurs compositions,  innover, passer du classique au jazz, conjuguer technique et mélodies....

La musique est au centre de ma vie professionnelle mais aussi personnelle. Mes exigences et mon engagement sont le reflet de la relation passionnelle que j'entretiens, depuis toujours, avec elle.

 Au-delà de ma culture d'origine, je me sers des notes comme d'un langage pour me faire comprendre par la mélodie, car c'est un langage universel et intemporel qui chasse la haine et fait place au bonheur de vivre ensemble.

Contrairement à ce que pense la majorité des gens, ce mode d'expression exige beaucoup de rigueur et un souci constant de la recherche des sonorités musicales qui toucheront  le plus large public possible... 

Je suis , par ailleurs, très attaché à la qualité des enregistrements et des prises de son. Pour les avoir fréquentés, je peux  témoigner que les studios de grandes radios nationales comme Radio France ou  la BBC disposent d'équipements de pointe et des meilleurs techniciens. De même le label ECM est très pointu sur la qualité artistique de la prise de son.

Les compositeurs qui sont dans une dynamique de créativité conjuguent les différentes techniques pour aller plus loin, dans un ailleurs non encore exploré. Ils souhaitent éveiller la  curiosité et susciter l'envie d'écouter, non seulement  la musique que l'on connait, mais aussi celle vers laquelle nous ne serions jamais allés.       

Force est de constater qu'ils sont pénalisés par la réduction du nombre de lieux de diffusion. La question de la place faite aux compositeurs, aujourd'hui, se pose vraiment...

Pourtant on a besoin que la musique, toutes les musiques, reste vivante, se transmette mais aussi s'enrichisse par le partage de toutes les cultures et par l'innovation. On a besoin de cette vitalité  dans de nombreux domaines, de l'éducation à la santé sans négliger l'impact de la musique sur la communication et l'apaisement des tensions entre les humains. Un vieil adage ne prétend-il pas que "la musique adoucit les moeurs"?  

En un mot, la musique aide les gens à vivre, à ne pas abandonner, à s'accrocher quand tout va mal, à retrouver le goût de la vie et surtout à avancer.

La musique rend la vie belle, fait s'épanouir "la beauté de l'intérieur",  invisible mais bien présente en chacun de nous. Et quand l'Homme se perd  dans la trépidation de la vie moderne c'est souvent la musique qui lui permet de se reconnecter aux vraies  valeurs humaines.

Les artistes qui sont conscients de ces valeurs et du pouvoir de la musique font du bien à la société et tous les Hommes et les Femmes qui sont dans l'action , le développement, la recherche, savent que la musique a une place dans le coeur de tous. 

La musique est le langage le plus universel que je connaisse, c'est le langage des émotions communes à toute l'Humanité, qui fait passer de l'état de souffrance à celui de plaisir... À ce titre, l'accès à la musique et à l'art en général devrait faire partie des droits humains. 

Personnellement, j'ai transformé ma souffrance en bonheur grâce à la musique, et je remercie mon père et ma mère, Sékou et Yé Coulibaly, de m'avoir donné l'harmonie de la vie.

Yé Lassina COULIBALY

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